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Afa en images

Cim'Alpes

2016 |
    Évoquer Jean Afanassieff, c’est forcément penser à ces lignes de Fiodor Dostoïevski dans Le joueur :

    « J’aime vos réparties. À vos paroles, je reconnais mon vieil ami d’antan, intelligent, enthousiaste en même temps que cynique. Seuls les Russes peuvent réunir en eux tant de qualités contraires. »

    Descendant de Russes blancs émigrés, Jean, Parisien du XVIe arrondissement devenu Chamoniard, avait de l’allure, du charisme, de la gouaille et un foutu caractère. Si on écrit sur lui au passé, c’est que le crabe a eu raison de sa noble combativité et de son combat opiniâtre, le 10 janvier 2015.

    Tout le monde l’appelait Afa. Belle gueule, carcasse imposante, sourire ravageur, il imposa très vite sa personnalité flamboyante, ses longs cheveux et ce chuintement caractéristique qui ajoutait tant à son charme. Afa ? Une existence d’engagement passée en montagne, dans tous les massifs du monde, d’abord crampons aux pieds puis caméra au poing. Alpiniste, guide, voyageur, réalisateur, conférencier, Jean avait soixante-deux ans. Il avait encore mille vies à vivre.

    Quand il voulait bien mettre de côté goguenardise, causticité et dérision, il avouait que la montagne l’avait cueilli très jeune. Et qu’il sut très vite que son avenir serait sur les terrains d’altitude :

    « À l’âge de 14 ans, apprenti alpiniste sur les rochers de Fontainebleau, écrivait-il en juillet 2008, je rêvais déjà d’ascensions dans les Alpes, d’aventures, d’expéditions lointaines et d’engagement total. L’atmosphère des rochers de « Bleau » bruissait de récits de grandes ascensions, les habitués étaient là chaque dimanche. Je désirais tant appartenir à ces « conquérants de l’inutile », Lionel Terray, René Desmaison, Walter Bonatti, Pierre Mazeaud. Peu assidu au lycée, je me nourrissais la tête en noir et blanc avec la revue du Club Alpin Français, de ses récits d’ascensions souvent dramatiques, en attendant le dimanche suivant. Ce monde de la montagne était là, il ne me paraissait ni accessible ni inaccessible. Instinctivement je devais savoir, sans y penser, que les gestes répétés, mais toujours différents, de l’escalade allaient me propulser dans ce monde, haut, très haut, loin très loin… Et si possible, partout. » (Dossier de production, Empreintes, France 5).

    C’est à Chamonix qu’il a très vite établi son camp de base, une espèce de chalet-cabane pour baba cool. Il arpenta le massif du Mont Blanc, et collectionna les réalisations d’envergure, dont les premières solitaires de l’Éperon Croz aux Grandes Jorasses ou de la Blanche de Peuterey. C’était un tout bon !

    Dès qu’il put, il passa son diplôme de guide de haute montagne, histoire de mettre du beurre dans les épinards. Mais lui qui savait y faire pour embarquer les autres dans ses délires se laissa happer par des nouvelles aventures, tissant au passage de belles amitiés. C’est ainsi qu’en 1975, avec l’épatant Patrick Cordier, il réussit la première du mont Ross aux îles Kerguelen. C’est ainsi qu’en 1976, grâce à l’aide de Pierre Mazeaud, « l’alpiniste ministre », il put s’attaquer au Fitz-Roy, ce magnifique obélisque granitique battu par les vents. Dans la foulée, lui qui se définissait comme « un jeune grimpeur décalé » prit sa plus belle plume pour demander au même Mazeaud de lui « offrir un strapontin » dans son expédition à l’Everest. Et c’est comme ça aussi que, le 15 octobre 1978, sans avoir l’air d’y toucher, Jean Afanassieff est devenu le premier Français à fouler le toit du monde (8848 mètres), quelques secondes avant Nicolas Jaeger, le toubib-alpiniste, et quelques minutes avant le « vieux » Pierre Mazeaud (49 ans). L’Autrichien Kurt Diemberger filma la scène magnifiquement. Tandis que Mazeaud fit la une de Paris-Match avec le drapeau français, lui eut droit à celle de Télé 7 jours, brandissant la bannière du magazine. Il s’en excusait presque : « C’est un hasard, j’avais ce drapeau dans mon sac à dos… » Oui, Jean, on a tous un drapeau dans son sac quand on grimpe… Il ajoutait avec une humilité non feinte :

    « Si éventuellement, la mémoire collective retient un nom de notre grande aventure sur le Toit du Monde, cela sera le sien, c’est lui qui a tout fait pour que cela se réalise. »

    Pour la petite histoire, Afa et Jaeger furent les premiers à skier la très haute altitude. Lors du retour du sommet de l’Everest, ils chaussèrent entre 8200 et 8300 mètres, pour rallier le camp 2 à 6700 mètres. Drôle de pied de nez : deux Parisiens à la technique rustre, les premiers skieurs à 8000 !

    En réalité, s’il avait du mal à assumer des valeurs considérées comme ringardes et s’il se camouflait derrière un anarchisme de façade, Jean Afanassieff appréciait d’être connu et reconnu. Ainsi, il était fier de ses médailles de Chevalier de la Légion d’honneur et de l’ordre national du Mérite ! Cette petite anecdote, racontée par son ami le guide-réalisateur Denis Ducroz, dit bien la psychologie du personnage. À Denis qui, un jour, lui reprochait de « conduire comme un fêlé » avec ces mots : « Tu te rends compte, si tout le monde conduisait comme toi ?! », il répondra : « Je ne suis pas tout le monde. » Il avait raison, il n’était pas tout le monde, il était quelqu’un !

    Après l’Everest, qui lui offrit une certaine célébrité, Jean partagea son temps à faire le guide et à parcourir le monde des hauteurs.

    Au début des années 1980, Afa embarqua une caméra dans son sac. Ce « self made cameraman », guidé sur le terrain par le talentueux Denis Ducroz, filma alors la montagne, l’action, les hommes et les femmes d’engagement. Sa connaissance du milieu, son œil acéré, son esprit singulier, sa curiosité insatiable, son aisance naturelle, son intuition inspirée et une exigence certaine furent ses meilleurs outils. Afa a beaucoup tourné, beaucoup réalisé, beaucoup montré. Des alpinistes souvent : Eric Escoffier, Jean-Marc Boivin, Pierre Mazeaud, Walter Cecchinel, Doug Scott, Yannick Seigneur, Georges Livanos, Lucien Berradini, Robert Paragot, Lynn Hill, Gary Hemming, Guido Magnone, etc. Et puis des lieux : le lac Baïkal, la mer d’Aral, l’Everest, le Naga Parbat, le K2, le Kamchatka, le Yellowstone, l’Antarctique, la Sibérie, le Népal, le Yemen, etc. Et puis des sujets « sérieux » : les chasseurs de mammouths, le sous-marin Koursk, les météorites, les cadavres de bateaux, le réchauffement, l’océanographie spatiale, Tara, etc. Et puis des séries : Les Alpes vues du ciel, etc. Une œuvre dense, construite avec des producteurs amis, dont le précieux Jean-Pierre Bailly ; une œuvre complexe, à l’image du personnage. Car Jean Afanassieff a su mettre « son culot invraisemblable au service d’un talent sans complexe », selon la formule de Denis Ducroz, dans son hommage à Jean, lors de ses obsèques. Ducroz qui a ciselé cette épitaphe : « Jean tu t’es construit une vie exceptionnelle parce que tu as eu l’intuition de ton propre destin et que tu t’es donné les moyens de l’accomplir ».
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